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Balado - Les Voix du terrain 28 - Parcours d’une étudiante en médecine – 3e partie : apprentissage immersif à Lower Post, C.-B.

août 2023

Série de balados Les Voix du terrain
Série de balados Les Voix du terrain

Les Voix du terrain

Bienvenue aux Voix du terrain, une série de balados produite par le Centre de collaboration nationale de la santé autochtone (CCNSA). Le CCNSA met l’accent sur la recherche innovante et les initiatives communautaires visant à promouvoir la santé et le bien-être des Premières Nations, des Inuits et des Métis au Canada.

Épisode 28 – Parcours d’une étudiante en médecine – 3e partie : apprentissage immersif à Lower Post, C.-B.

La création de cet épisode visait à faire part de quelques perspectives acquises dans le cadre d’une expérience d’apprentissage immersif pour accroître les compétences en sécurité et en humilité culturelles d’une étudiante en médecine. Cette expérience, offerte par le Programme d’enseignement communautaire des Premières Nations sous la supervision de la Dre Sarah de Leeuw, professeure dans le Programme de médecine dans le Nord et titulaire de la Chaire de recherche du Canada. Kara et trois autres étudiants en médecine ont passé cinq jours dans la communauté de Lower Post, invités par le Conseil des Daylu Dena. Cet épisode relate quelques-unes de ses expériences ayant trait aux soins de santé.

Écoutez sur SoundCloud (audio en anglais seulement)


Biographie

Kara Ruff est une étudiante métisse qui poursuit actuellement des études en médecine à l’Université de la Colombie-Britannique, sur les terres ancestrales, traditionnelles et non cédées du peuple Syilx de la Nation Okanagan, dans le Southern Medical Program de Kelowna, en Colombie-Britannique. Elle a entrepris sa deuxième année à la faculté de médecine et s’intéresse aux soins de santé destinés aux Autochtones et aux régions rurales en raison de ses liens familiaux et de ses racines, elle qui a grandi à Campbell River, sur l’île de Vancouver. Elle est représentante en santé des Autochtones pour son site, au Southern Medical Program, et continue de promouvoir l’amélioration des soins de santé sécuritaires sur le plan culturel pour les Autochtones du Canada.

La mini-série de quatre balados Parcours d’une étudiante en médecine dans l’apprentissage de la santé des Autochtones est le fruit du travail de supervision et d’encadrement de Sheila Blackstock (lien en anglais), Ph. D., chercheuse de la Nation Gitxsan et coleader académique pour le CCNSA, et de Viviane Josewski, Ph. D., associée de recherche du CCNSA et professeure adjointe à l’école des sciences infirmières de l’UNBC.

 

Transcription

Kara Ruff : Bonjour, tout le monde, et bienvenue au premier épisode de la minisérie Parcours d’une étudiante en médecine dans l’apprentissage de la santé des Autochtones, une minisérie du balado Les Voix du terrain. Je m’appelle Kara Ruff et je serai votre hôte pour cet épisode. Je suis descendante métisse du côté de mon père, et j’ai des origines européennes mixtes du côté de ma mère. Je suis membre de la Nation métisse de la Colombie-Britannique. Je suis née et j’ai grandi à Campbell River, en Colombie-Britannique. Je vis actuellement en tant qu’invitée sur les terres traditionnelles du peuple Syilx de la Nation Okanagan, à Kelowna, et tiens à les remercier de me permettre de vivre, de travailler et de m’amuser sur leurs terres tous les jours. Je vais vous parler aujourd’hui de mon expérience d’une semaine vécue au sein d’une communauté autochtone appelée Lower Post, en Colombie-Britannique. Pour ceux qui n’auraient pas écouté mon premier épisode, je suis une étudiante en médecine du Southern Medical Program de l’Université de la Colombie-Britannique. J’ai pu profiter de cette occasion dans le cadre de mon projet FLEX de première année, sous la coordination de la Dre Sarah de Leeuw, professeure dans le Programme de médecine dans le Nord et titulaire de la Chaire de recherche du Canada. Ce projet vise à donner l’occasion à des étudiants de parfaire leur compétence culturelle grâce à une expérience d’apprentissage immersif axé sur la santé et le mieux-être dans ces communautés. J’ai adhéré à ce projet parce que je crois qu’il est très important d’étendre la compréhension qu’ont les étudiants de la culture, des valeurs, de la santé et du mieux-être des Premières Nations pour faire en sorte que les Autochtones vivent de meilleures expériences dans le système de santé et en tirent de meilleurs résultats. Les données tirées de ce projet viendront s’ajouter aux preuves de l’efficacité des expériences d’apprentissage immersif pour accroître l’humilité et la sécurité culturelles chez les étudiants en médecine qui deviendront les prochains fournisseurs de soins. Ce projet, en cours depuis quelques années, a permis la création de partenariats entre la First Nations Health Authority, le Programme de médecine dans le Nord, le Health Arts Research Centre et l’autorité sanitaire du Nord. Avant de parler de mon expérience, je tiens à remercier chaque personne ayant rendu ce projet possible, tout spécialement le Conseil des Daylu Dena qui m’a permis de visiter la communauté et de prendre part à ses activités en m’hébergeant dans le cadre de ce projet.

Dans cet épisode, j’exposerai quelques-unes de mes expériences mémorables et des perspectives que je juge instructives en ce qui concerne la santé et le mieux-être dans des groupes autochtones du Nord et en région rurale. Le but ici consiste à partager mes expériences pour faire mieux comprendre ce sujet à mes collègues de classe, mais j’espère que même sans être étudiant en médecine, certaines situations évoquées vous feront réfléchir. Alors, commençons!

Les auditeurs qui n’ont aucune idée de l’emplacement de Lower Post doivent savoir qu’il s’agit du dernier village établi le long de la route 97 en Colombie-Britannique, à la limite du Yukon, avant d’atteindre la ville la plus près, Watson Lake. Il s’agit d’une communauté autochtone d’environ 172 personnes de différents groupes de Premières Nations, mais principalement de la Nation Kaska puisqu’il s’agit de leur territoire ancestral. Ce lieu servait historiquement de point de rencontre de nombreux groupes des Premières Nations, parce qu’il est à l’intersection de deux rivières. C’est pourquoi, de nos jours, divers peuples autochtones y habitent. Mes collègues de classe et moi n’avions aucune idée de ce qui nous attendait avant notre arrivée à Lower Post, et nous avons commencé l’expérience en sachant peu de choses sur l’endroit où nous séjournerions ou les tâches que nous aurions à accomplir.

Je ne voulais pas me rendre dans une communauté sans en connaître les membres et leur histoire. Une fois sur place, j’ai vite appris que mes recherches dans Google ne me renvoyaient à rien d’autre que des données erronées sur la population et les services offerts, puisque les sites Web ne tiennent pas à jour le niveau de croissance de la communauté. Il est tout aussi probable que les sites Web ne fassent aucun suivi de la régression des communautés du Nord, alors que le roulement de population semblait considérable dans d’autres petits peuplements que nous avons croisés sur notre trajet. Avant de visiter une communauté autochtone éloignée ou d’aller y travailler, je vous suggère d’essayer à tout le moins d’obtenir un peu d’information sur ses membres, ceux à qui appartiennent les terres où vous irez et l’histoire de la région. La BC Assembly of First Nations a créé une carte interactive pour trouver la zone géographique, les traités, la langue parlée, le nom du chef et des conseillers, en plus de vous diriger vers d’autres ressources pertinentes. Je consacrerai plus tard tout un épisode sur les autres étapes à suivre pour vous sensibiliser davantage à la culture avant de passer du temps dans toute communauté autochtone.

Au jour un de notre séjour à Lower Post, j’ai trouvé intéressant le va-et-vient des gens. En l’absence totale de service cellulaire, le recours aux lignes terrestres et l’arrivée à l’improviste semblent les meilleures formes de communication. Certains étaient vraiment amicaux et d’autres semblaient hésitants, à juste titre, puisqu’ils ignoraient la raison de notre présence. Il serait irréaliste, selon moi, de s’attendre à être accueilli à bras ouverts dans leur communauté après tout le mal causé par les systèmes coloniaux. La réticence à l’égard d’étudiants en médecine était prévisible. Nous avons tout de même eu une agréable conversation avec une femme avec qui nous avons pris un café. Elle nous a dit que « ce dont nous avons vraiment besoin, c’est d’apprendre à connaître les médecins comme ça, personnellement, pas quand un d’entre nous est assis sur la chaise ». Ses propos m’ont réellement frappée et m’ont fait réfléchir. Je crois que nous avons pu avoir une bonne conversation parce que nous nous sommes tous présentés, situés véritablement, et avons indiqué d’où nous venions et pourquoi nous étions là. Dans un prochain épisode, je mentionne le protocole permettant de se présenter dans des communautés autochtones. Après mûre réflexion, j’ai compris que j’avais toujours compris l’importance de la confiance dans les liens tissés pour les membres des communautés rurales. Je viens de Campbell River où j’ai pu constater que les membres de communautés rurales tendent à se fier les uns aux autres, peut-être plus que dans les centres urbains. Cette confiance doit absolument s’étendre à la relation entre patient et praticien, mais je constate maintenant qu’il est encore plus important de l’établir avec ceux chez qui les effets antérieurs et continus de la colonisation ont causé la rupture de ce lien de confiance. Il semble qu’au sein de cette communauté, il soit de la plus haute importance pour les médecins d’apprendre à connaître leurs patients à un niveau plus personnel, en tant que personne à part entière, pour pouvoir les soigner de façon plus holistique.

Ce soir-là, nous avons appris à broder avec des perles de verre. Une femme a accepté de venir nous enseigner le perlage de magnifiques bracelets de marguerites. Elle s’est montrée si patiente et semblait ravie que nous voulions acquérir une compétence très importante dans son expression culturelle. Le lendemain, à l’hôpital, un des médecins a mentionné que le travail dans une petite communauté comme Watson Lake correspond à ce que vous en faites. Elle a laissé entendre que certains venaient seulement pour être médecin tandis que d’autres s’efforçaient de tisser des liens plus significatifs avec la communauté, axés sur l’intégration. Elle a vraiment insisté sur l’importance de prendre part aux activités des Autochtones en venant dans leur communauté, comme les événements communautaires et les activités culturelles, pour mieux établir la confiance, le respect mutuel et la réciprocité.

Cette conversation avec les médecins praticiens de Watson Lake a été tellement précieuse. L’hôpital, en excellent état puisqu’il a été bâti en 2013, compte quatre médecins. Ils ont parlé des avantages de leur travail et de leur méthode de travail avec la communauté pour prodiguer des soins de santé profitables pour les Autochtones. Ils comptent, par exemple, redécorer l’hôpital avec de l’art autochtone, faire de certaines salles des espaces de guérison autochtone, consacrer un jour par semaine à la visite d’un établissement de soins de longue durée par les médecins pour s’occuper des Aînés et une autre journée, à la visite des écoles, puisque la communauté a demandé de se concentrer davantage sur la santé des Aînés et des enfants. De plus, une personne chargée du soutien de la communauté est postée à l’hôpital et fait office de travailleuse sociale. Un des médecins de cet hôpital a dit ceci, que je trouve important : « la forme que prennent actuellement les soins de santé est une pratique coloniale; nous l’avons adoptée et avons monopolisé les soins de santé et leur mode de prestation. Nous devons permettre aux membres de cette communauté de donner leurs avis sur les espaces réservés à leurs soins de santé et sur la manière dont ils veulent qu’ils leur soient prodigués. » Je n’avais jamais pris conscience de la profondeur de l’enracinement de la colonisation dans chaque système, au Canada. Cela m’a fait découvrir un de mes préjugés : je savais qu’il fallait changer le système de santé pour mieux répondre aux besoins des Autochtones, mais je n’avais jamais vraiment pensé que l’ensemble du système pourrait être différent sans la monopolisation par la culture occidentale du mode de prestation des soins.

L’importance des médecins se rendant dans la communauté pour prodiguer des soins est devenue évidente. Il est déchirant de voir de ses yeux la méfiance des Aînés à l’égard du système de santé. Le responsable des soins de santé a proposé à un Aîné très malade d’aller à l’hôpital, mais ce dernier a catégoriquement refusé de quitter sa demeure. Selon moi, cette situation illustre bien la nécessité que les médecins soient en mesure de visiter les patients dans les communautés autochtones, parce qu’ils souffrent encore des séquelles laissées par les hôpitaux et les pensionnats autochtones. Le pensionnat de Lower Post, ouvert de 1951 à 1975, a marqué des milliers de familles autochtones établies dans la région. La communauté a finalement eu gain de cause avec la démolition du bâtiment en 2021, un moment historique pour toutes les personnes affectées. J’ai été surprise par le bon état des membres de la communauté et par la période de croissance en vigueur partout et pour tous. Cela m’a fait réaliser que j’avais supposé, dans mon for intérieur, que je verrais plus de gens mal en point, terrassés par le traumatisme intergénérationnel causé par les pensionnats. Les services de consultation psychologique pour Autochtones offerts à Whitehorse, appelés Transformations, semblent attirer beaucoup de personnes, qui n’ont d’ailleurs que de bons mots à leur endroit. L’efficacité de ces soins pour les personnes impliquées semble due au fait que ces services sont adressés spécialement aux Autochtones, que la thérapie de groupe a lieu dans la communauté et, plus important encore, que les soins sont dirigés par des Autochtones. Il est vraiment remarquable d’observer la résilience de la communauté, toujours là en train de se reconstruire après tous les dégâts causés par la tentative du gouvernement canadien de détruire les communautés et les cultures.

Lower Post est une communauté en pleine expansion, et tout le monde s’en réjouit. Le nouveau chef a apporté des changements phénoménaux grâce au financement reçu. La communauté est dotée d’un nouveau Centre des Aînés où ces derniers peuvent habiter et avoir un espace commun pour se réunir, se détendre et cuisiner. Un nouveau bâtiment, appelé Eagle’s Nest, ou le nid de l’aigle, est réservé aux activités des femmes et des enfants, où les personnes qui suivent des formations en ligne profitent d’un espace de travail et d’un accès WiFi. Lower Post a un nouveau centre de santé pourvu d’espaces où dentistes et médecins peuvent venir s’installer, un centre de conditionnement physique pour la communauté et un centre multiculturel est actuellement en construction. L’édifice où se trouvent le refuge et des logements supervisés pour les femmes a aussi officiellement ouvert ses portes, et il est absolument magnifique. De nombreux représentants de différentes Premières Nations ont assisté à l’ouverture en vue de célébrer et de poser des questions sur le processus à suivre pour mettre sur pied des initiatives comparables dans leur communauté. Après une prière d’ouverture chantée au rythme des tambours, le Chef a fait une allocution qui soulignait l’importance de protéger et de s’investir auprès des femmes et surtout des enfants pour assurer la santé et l’avenir de la communauté.

Pour conclure, je tiens réellement à mentionner à quel point cette merveilleuse expérience m’a permis d’élargir ma perspective concernant la vie dans une communauté autochtone éloignée et m’a poussée à réfléchir sur le système de santé, mes préjugés et mes présomptions cachées. Avec un peu de chance, une partie de l’information que je vous ai transmise aura eu le même effet sur vous et, si ce n’est pas déjà fait, je vous mets au défi de réfléchir sur un point de mon récit qui vous a étonné. J’espère que vous avez pu comprendre les effets permanents des pensionnats et du traumatisme intergénérationnel, voir l’importance de changer le système de santé afin de mieux servir les Autochtones et constater la réelle force de cette nation en train de se rebâtir et de prospérer. Merci beaucoup d’avoir écouté ce balado et je vous recommande d’écouter les autres!

Pour écouter d’autres balados de cette série, consultez « Les voix du terrain » qui se trouvent sur le site Web du Centre de collaboration nationale de la santé autochtone, à ccnsa.ca. La musique de ce balado est l’œuvre de Blue Dot Sessions. Il s’agit d’une œuvre en usage partagé, utilisée sous licence Creative Commons. Pour en apprendre davantage, consultez le www.sessions.blue (lien en anglais).

 

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